Les orphelins ont tous eu un corps de femme qui les a abrités qui les a menés à la vie, même à contre-coeur. Beaucoup recherchent leur mère. Lors de mon premier voyage, lorsque j'avais posé des questions sur mon père, cela avait suscité des surprises. Le choc de la doctoresse se manifesta malgré elle :
« Et pas tes parents ?
Ma mère est morte. C'est pour cette raison que mon père a été obligé de me conduire à l'orphelinat. Il y a sept ans, j'y suis retournée, pour le retrouver. On m'a répondu qu'on ne le connaissait pas, qu'on ne l'avait jamais vu, et qu'on n'avait jamais entendu parler de lui. Il y a six ans, j'ai reçu une lettre de ce même orphelinat m'annonçant son décès. L'intégrisme, j'ai pensé : on ne veut pas me faire rencontrer mon père hindou, mieux valait un deuil acceptable. J'ai donc décidé de chercher ma soeur. Il ne faut surtout pas parler d'elle. Je parle du besoin de connaître mes origines. Ca, tout lemonde est pour, les plus jaloux des parents comme les plus intégristes des religieux. C'est alors que j'ai appris que mon père serait encore en vie, dans un hospice, et peut-être même... catholique. Le plus simple, je pense, c'est de chercher ma soeur. Elle, elle saura si mon père est vivant ou non.
C'est juste. Comment s'appellent vos parents ?
On m'a dit – mais je n'en sais rien – que ma mère s'appelle Revadi et mon père Addekalaradj.
Ta mère est hindoue, alors ?
Oui.
C'est pas possible.
C'est ce que je pensais aussi, vu ce qu'on lit dans les journaux. Mais la traductrice m'a dit que les mariages entre hindous et catholiques étaient fréquents.
On n'est pas à Pondy, ici ! C'est un petit village ici.
Pour les noms, c'est ce qu'on m'a dit, je ne me souviens de rien, c'est peut-être faux. Je devais les appeler 'papa' et 'maman', comme tout le monde. Ma soeur, je suis sûre de son nom, de son prénom. Ca va être encore plus embêtant pour elle, elle a sans doute changé de nom de famille en se mariant !
Non, il n'y a pas de nom de famille. Par contre, ton père a changé son prénom s'il s'est converti. Les gens changent de prénom s'ils le veulent, souvent quand ils changent de religion. Avant, il devait avoir un nom hindou, comme ta mère. »
La doctoresse partit se renseigner. J'attendis avec l'instituteur. Les villageois attroupés nous regardaient. L'instituteur me demandait :
« Veux-tu manger ?
Non merci. Je veux ma soeur.
Veux-tu boire ?
Non merci, je veux ma soeur. »
Malgré la soif et la faim qui me gagnaient tandis que la journée progressait, je déclinais sans cesse l'hospitalité renouvelée. L'instituteur ne s'offusqua pas. Au contraire, il me félicita. Il en profita pour faire la leçon aux jeunes : « Voici une jeune femme qui est juste. Voyez sa droiteur. Prenez exemple, vous qui voulez quittez vos parents. Une vraie fille d'Ellora ne les quitte pas et fait tout pour les retrouver si on l'en a éloignée. Soyez de vrais enfants d'Ellora, c'est possible. C'est vital, aussi »
Je remuais ciel et terre pour retrouver pères et mères, avec patience et persévérance. Stoïque, j'accumulais les heures d'attente silencieuse.Nous étions assis et les badauds debouts. Parmi eux, beaucoup d'hommes et de jeunes. Le soleil jouait de la lumière et de l'ombre sur les jupes. Le blanc éclatant devenant brusquement translucide, je détournai les yeux tout en cherchant les visages. Ils me souriaient de toutes leurs dents et parlaient de moi l'oeil étincelant. Ce genre de familiarité leur coûterait un choc frontal de sandales avec n'importe quel autre fille. J'avais été élevée ailleurs et je ne réagissais pas ainsi. Par contre, je ne comprenais pas l'attitude de l'instituteur, moralisateur l'instant d'avant. Je l'obervais de mes yeux et des mes oreilles sourdes à son parler. Il parlait avec des vieillards. Tout à coup, le sens m'apparut : on m'avait identifée, c'était évident ! Je ne dis pas que j'avais saisi quelques bribes de leurs mots et de leurs gestes. Tant que j'étais une étrangère, leurs mains et leur bouche s'exprimeraient en ma présence. Impatiente, je finis par leur poser la question... « M'avaient-ils reconnue ? Pourquoi semblaient-ils me connaître ? » Ces questions leur fit perdre leur anglais tout à coup... Et mes cousins, car c'étaient eux, se comportaient familièrement tout en se gardant de me révéler que j'étais de leur famille
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