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Au Nom du Père, 23

« Va en paix. Dieu est un père aimant.Un père n'abandonne pas ses enfants. »
Il resta un long moment dans le confessionnal à prier et à méditer. Au dehors, je discutai avec des collégiens qui sortaient de classe.
«  Le Père Antonisamy est apprécié, ici. Même nous, on n'est pas catholiques, on l'aime bien. Moi, plus tard, je serai avocat. Je vais écouter les sermons d'Antonisamy, c'est un excellent prêcheur. Je pense que c'est formateur.
Oui, mais le meilleur cas, on ne l'a pas entendu. Il paraît que c'était bien avant notre naissance, avant la tienne aussi. C'était une femme qui a eu un enfant, un enfant qui était le portrait craché de l'évêque. Son mari en a conçu de la jalousie, tu penses bien ! Lui, il a loué la piété de cette femme et a dit que Dieu lui avait donné un enfant comme cela pour la récompenser. Bref, l'épouse soupçonnée d'adultère était devenue une sainte !
Case is dismissed. »
Un professeur venait de nous rejoindre. Les jeunes n'avaient plus le droit de parler de ce sujet, ni maintenant, ni jamais. Il prit la parole, et son ton chassa et dispersa les écoliers : « Le père Antonisamy a beaucoup aidé ton père lors du décès de ta mère. Ce vieux sermon t'a fait plus de tort que de bien. La sollicitude de l'homme d'Eglise a été mal interprétée. On a été contraints de te placer.
Qui ça « on » ?
Je ne sais pas. Je ne connais pas ta famille.
Vous avez l'air de savoir des choses sur eux, pourtant.
Je sais ce que tout le monde sait. Ce ne sont que des rumeurs. C'est peut-être faux.
Mais vous, vous ne croyez pas à la rumeur générale, celle qui a fait mon malheur. Pourquoi ? Qu'est-ce que vous croyez ? Qu'est-ce que vous savez ?
Ma belle-mère est malade et mon épouse vient d'accoucher. J'ai beaucoup de travail. Au revoir mademoiselle. Ravi de vous avoir rencontrée. »
Je retournai voir Antonisamy. « Au début, l'orphelinat envoyait régulièrement de vos nouvelles. Ensuite, plus rien. Pourtant on a écrit, on est allé voir. Votre père est allé voir, votre frère, votre oncle... ils 'nont donné aucune nouvelle. C'est vraiment inadmissible. Et quelle tristesse ! » Son ton affligé me fit douter d'une compassion purement catholique et j'entrevis la possibilité de l'expression d'une affection filiale et génétique. Le magnétophone tournait pour enregistrer ma conversation présente. Dans ma tête tournoyaient les souvenirs.
Un matin, je me suis levée : « J'ai rêvé en vers et en langue étrangère. » Les rires furent si féroces qu'ils me firent honte. Comment donc, la fille du marchand de cacahuètes jouait les poètes et se prenait pour une prophète ! Ce fut la dernière fois que je racontai mes rêves. Un jour, je lus que dans les temples les prêtres officiaient en sanskrit et disaient de la poésie dans une langue plus ancienne encore. J'appris aussi qu'il était encore dans les moeurs de mettre de très jeunes enfants auprès de maîtres védiques. Même s'il n'était plus sacrilège d'écrire les Véda, la transmission se devait d'être avant tout orale, et pour cela, il fallait former les esprits dès leur plus jeune âge. J'entendis aussi parler de la notion de diglossie. Si les auteurs francophones pensaient en langue étrangère, si cela arrivait également aux immigrés venus avec leur famille en France, pourquoi les enfants adoptés ne rêveraient-ils pas en langue étrangère ? Depuis, j'eus la conviction qu'il fallait écouter les voix de la nuit.
Face au père Antonisamy, je me demandai si ce que j'avais interpété comme étant du sanskrit védique n'était pas du latin d'église. Je proposai alors de prendre des photos du Père, seul, avec moi, dans son bureau et dans son église. Je savais que ces photos me seraient précieuses : c'est grâce à elles que Mon, l'organisateur de voyages pour enfants adoptés, avait réussi à réunir deux soeurs dispersées en Europe. Les Indiens adorent se faire photographier, lui, il refusa net. J'étais déçue, mais pas de trop. Une sage-femme m'avait rapporté l'histoire suivante. Une patiente avait accouché d'une fillette toute chinoise, toute comme son père. Devenue femme, elle était revenue accoucher dans la clinique de sa mère et la sage-femme avait l'impression d'avoir déjà vu cette parturiente, qui n'avait pris aucune ride. La fille était devenue identique à sa mère, aucune trace de métissage sur son visage, et du père, encore moins.

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